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dimanche 20 avril 2014

retrouvailles (joli-coeur)

La dernière fois qu'on avait laissé Joli-cœur, je pensais que ce serait pour une courte durée, trois semaines tout au plus. Je m'étais un peu inquiétée, avant mon départ, auprès des voisins pour savoir s'ils pouvaient me renseigner sur un éventuel maître qu'il aurait ou aurait eu dès lors que je l'ai connu portant un collier, par une fois changé. Personne n'a pu me répondre exactement, Gilberte ayant seulement suggéré qu'il pouvait avoir eu pour maîtresse une dame âgée qui venait d'être admise en maison de repos. Cela correspondrait à l'époque où j'ai vu pour la deuxième fois Joli-cœur qui, alors qu'il ne réclamait pas à manger la première fois mais juste à faire copain-copain avec Chipie, était devenu très quémandeur la seconde. Sans compter que je l'avais surpris en train de faire les poubelles pour se nourrir, signe qu'il n'avait certainement plus le couvert. Je ne savais pas trop quelle attitude adopter, quand Huguette m'avait dit d'un ton ironique "Ne vous inquiétez pas pour lui, il saura se débrouiller !" (pendant mon absence alors imminente).
Deux semaine après mon retour à Paris, j'avais appelé Jo pour savoir si elle l'avait vu dans les parages de nos maisons (la sienne est voisine de la mienne). Elle ne s'était pas posé la question mais m'avait assuré qu'elle ferait désormais attention et que, à l'occasion, elle lui mettrait une gamelle.
Mon retour à Paris a duré beaucoup plus que prévu et ce n'est que plus de deux mois plus tard que j'ai enfin pu regagner la Bretagne. Titou s'inquiétait un peu aussi de ce chat qu'il avait pris en affection.
Dès notre arrivée, un jeudi soir, notre premier réflexe a été de regarder aux alentours de la maison pour apercevoir sa silhouette, espérant qu'il entendrait les mouvements de voiture dans la cour et rappliquerait avec son air fier et conquérant, comme il l'avait fait tout au long de mon dernier long séjour, souvent à l'heure des repas, pour réclamer son assiette ou s'inviter dans la maison pour faire une petite sieste ! C'était un peu présomptueux, quand même, de notre part à nous qui l'avions abandonné à son sort de chat errant il y a plus de deux mois, au plus fort de l'hiver. Mais qui sait : quand j'avais emmené Mimi, alors âgé de six mois, chez mes parents pour le leur confier définitivement, maman me disait, quand je lui rendais visite : "Ca fait au moins trois jours que je n'ai pas vu le chat". Et, dans la journée, Mimi arrivait par le toit du préau qui donnait sur la cuisine. Plusieurs  fois ainsi, alors qu'il disparaissait assez souvent de la maison, il réapparaissait à chacune de mes venues, le jour-même de mon arrivée, comme si on communiquait par télépathie !


J'ai cru avoir rêvé cette image de mon Joli-cœur attendant
patiemment derrière la vitre. Il faudra qu'il apprenne à
frapper au carreau, parce que tout est tellement étanchéifié
dans ces maisons qu'on ne l'entendrait même pas miauler et
nous ne saurions pas qu'il est là si on a le dos
tourné à la fenêtre...
J'avais beaucoup pensé à Joli-cœur ces deux mois loin de lui, même si, objectivement, je me disais que s'il avait bien vécu avant moi, il n'y avait pas de raison qu'il ne survive pas après moi ! Cependant, c'est avec beaucoup d'interrogation que j'ai passé les cinq jours postérieurs à notre arrivée sans l'avoir repéré aux abords de notre maison. Ni aucun autre chat, d'ailleurs, ce qui pouvait s'expliquer par le vent, ils restent habituellement bien planqués aux abris quand le temps est assez tourmenté.
Je commençais à désespérer lorsque le lundi soir, en fin d'après-midi, levant machinalement les yeux de mon ordinateur pour regarder vers la fenêtre, je l'ai vu. Il était là, somnolent sur le rebord. Je ne sais depuis combien de temps il attendait ainsi. J'ai poussé un cri de joie, j'ai appelé Chipie pour qu'elle vienne le voir derrière la vitre, puis j'ai ouvert la fenêtre pour lui manifester mon bonheur de le revoir et le caresser. Il a miaulé plaintivement, a esquissé un mouvement de défense, puis a craché un peu avant de me regarder d'un air malheureux. J'en étais toute retournée. Il semblait avoir diminué de moitié en volume et son poil n'était pas au mieux de leur forme, ses pattes toutes souillées de boue semblaient manquer de soins aussi. Il faut dire que, vu l'eau qui est tombée abondamment ces derniers mois, à tel point que les champs en sont encore imbibés, il a dû vadrouiller continuellement dans la mélasse. Il a regardé Chipie avec indifférence tandis qu'elle crachait. Je ne savais pas si elle était contente de le revoir, elle qui le guettait aussi. Aussitôt, Joli-cœur a repris ses réflexes, en changeant de fenêtre pour venir à celle de la cuisine, où je lui ai servi une assiettée de poulet fumé (c'est le menu habituel de Chipie quand je n'ai pas le temps de lui cuire des blancs de volaille fraîche !) qu'il a avalée en trois coups de langue. Il a ensuite fait sa toilette puis est reparti très vite, sans attendre de nouvelles caresses, en direction de la maison de Jeanne, en face, de l'autre côté de la route. J'étais soulagée de l'avoir revu mais malheureuse de le trouver dans un état aussi piteux. Ou alors est-ce mon imagination qui me donnait cette impression ? Un instant, j'ai même cru avoir rêvé son image dernière le carreau, tellement il était reparti vite après avoir mangé.
J'espère que sa blessure à l'œil n'est pas
grave...
Il n'est pas revenu le lendemain, ce qui m'a rendue triste tout en me rassurant sur sa capacité à se débrouiller effectivement, en espérant bien qu'il avait compris qu'il ne fallait pas trop compter sur nous, ces irresponsables qui ne savent même pas comment l'adopter définitivement !
Le mercredi, à la tombée de  la nuit, Titou a hurlé "Voilà Joli-Cœur ! Il passe sous le grillage, il va arriver à la fenêtre de la cuisine !". Aussi gaga que moi, le gars ! Deux minutes plus tard, Joli-Cœur était là, sur le rebord de la fenêtre, miaulant pour la forme car il savait qu'on l'avait vu et que j'étais en train de m'affairer déjà avec la planche à découper pour le servir : il a reconnu le rituel très vite ! Or, je me suis aperçue qu'il avait un œil blessé, il avait du mal à l'ouvrir et larmoyait beaucoup. Que faire, que faire, avec un chat presque sauvage qu'on ne peut pas toucher comme on veut. Titou a essayé de lui passer un coton imbibé de sérum physiologique mais c'était mission impossible. On s'est fait griffer tous les deux, tandis que j'avais peur que Joli-Cœur ne se sauve ou tombe dans les jardinières en contrebas, en reculant trop brusquement sur le bord de la fenêtre, ce n'était pas pour mes plantes que je craignais mais il risquait de faire mal à ses fesses désormais osseuses, bien qu'il n'ai pas maigri au point que l'on sente ses côtes. En fait, il a retrouvé la taille qu'il avait avant d'élire notre maison comme cantine ! Je lui ai donc donné son assiette. Comme la dernière fois, il a mangé goulûment et, en passant sa langue sur ses babines tout en me regardant, il m'a signifié qu'il aimerait un peu de rab. Ses désirs sont des ordres ! Une fois rassasié, il a fait sa toilette. Cette fois-ci, il s'est un peu attardé dans l'ombre du soir qui descendait sur la maison, avant de repartir, toujours dans la même direction. L'état de son oeil m'inquiète, je pense qu'il a dû se bagarrer avec un autre chat. Il a d'ailleurs une nouvelle petite balafre sur le nez, celle du mois de décembre ayant disparu.

Il n'a pas cherché à entrer dans la maison. Son œil gauche est très larmoyant.
Son air triste m'a vraiment émue. J'espère que lorsque nous serons installés
ici pour de longs séjours sans grande interruption,
il redeviendra plus familier et restera avec nous...

Joli-cœur : "T'as pas du rab, madame ?"
Le lendemain, jeudi, il y avait beaucoup de vent et je savais que je ne le verrai pas.
Le surlendemain, vendredi, il est revenu, toujours à l'heure du repas du soir. J'en ai profité pour mettre dans sa nourriture un cachet anti-infectieux que j'ai sous la main pour Chipie, à qui il arrive aussi d'avoir des soucis à l'œil quand elle se prend dans les branches d'arbuste dans la cour parisienne. Ouf, Joli-Coeur a tout avalé sans distinction des morceaux, ce qui m'a rappelé un certain Gaspard qui, lui, avait l'art de laisser sur le côté de la gamelle le seul bout de viande où j'avais pourtant bien pris soin d'enfoncer discrètement le médicament !!!
Après avoir fait sa toilette et somnolé un peu comme un vieux notaire bien repu, Joli-cœur est parti, cette fois-ci en descendant le chemin, dans la direction opposée de la maison de Jeanne. Mystère, mystère, ses itinéraires qui changent tout le temps. Selon le vent, peut-être ?
Samedi matin, alors que j'attendais que l'odeur du café montât dans les étages pour me lever, Titou a crié "Joli-cœur est là !". Hein, il n'est même pas 8 h ! Ben, j'espère qu'il ne va pas reprendre ses habitudes de l'automne dernier : 7h30, 15h, 19h30 ! Du coup, je me suis levée pour lui donner son repas, avec un nouveau cachet. Déjà son œil avait l'air un peu en meilleur état, il avait moins de chassie dans le coin et ses paupières semblaient s'ouvrir presque normalement.
Dimanche, on ne l'a pas vu, ni le matin, ni le soir.
J'aime bien quand il s'attarde pour faire sa toilette
avant de repartir dormir je ne s ais où...
Lundi, il est revenu tôt le matin. Son œil est complètement guéri.
J'ai déjà le cœur serré de le laisser à nouveau dans deux jours... Mais, cette fois-ci, ce sera pour une courte durée, une grande semaine tout au plus... Le temps s'améliore, les maisons vont à nouveau ouvrir leur porte, il pourra s'inviter chez qui il veut pour manger, faire la sieste, mais j'espère bien qu'il choisira la nôtre comme lieu très amical, même si cela ne réjouit pas trop Chipie qui aimerait un pote un peu plus sociable et bien que, très confiante dans notre amour pour elle, elle ne manifeste aucune jalousie lorsqu'on s'occupe de nourrir Joli-cœur ou le guettons dès le matin, en poussant des cris de joie dès qu'il apparaît...